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  • Photo du rédacteurSexyDoo

Une mégère impprivoisable ...

Colette est une connaissance de longue date. Au départ simple copine d’école, mais peu à peu des liens plus forts se sont tissés, et elle est devenue au fil du temps un peu plus qu’une amie : une véritable complice. Nos rapports, pour amicaux qu’ils soient, n’en sont pas moins très fusionnels. Je suis son confident, parfois aussi son conseiller. De son côté, elle me console quand ça ne va pas bien. Nous sommes un peu comme frère et sœur.

Sa mère est décédée prématurément, quelques années auparavant, un cancer l’a foudroyée en quelques semaines. C’est elle qui jusque-là s’occupait de la sœur, la retorse Jessica. Celle-ci est invalide, clouée dans un fauteuil roulant depuis qu’un stupide accident de voiture l’a terrassée en pleine jeunesse, un samedi soir au sortir d’une boîte. Elle devait avoir 16, 17 ans à l’époque et Colette en avait à peine deux de plus.

Les deux sœurs sont aussi différentes que ce que la nature peut permettre.

Tout d’abord physiquement, Colette est une petite rouquine toute menue, très fine, presque maigre, un peu petite poupée, alors que sa cadette est brune, plutôt bien en chair, avec des traits beaucoup plus grossiers, des sourcils très épais, à croire qu’elles ne sont pas du même père. Aucune ressemblance apparente, à tel point que, quand elles vous disent qu’elles sont sœurs, vous avez vraiment du mal à le croire.

Question caractère, la différence est encore plus flagrante. Colette est joviale, pleine d’humanité, pleine d’empathie, elle a le contact facile et se montre toujours souriante. Jessica, au contraire, est renfrognée, agressive, caractérielle, parfois même délirante. Certes, le fait d’être dans un fauteuil roulant ne doit pas arranger les choses, mais au-delà, on sent bien que cette fille là n’a jamais été facile, elle se montre souvent très virulente et a des jugements très incisifs et très tranchés.

Depuis la mort de la mère, Colette a repris le flambeau, c’est elle qui s’occupe désormais de sa sœur. Les deux femmes vivent dans un immeuble rénové du centre ville, spécialement aménagé pour les handicapés. Il dispose d’un ascenseur moderne alors que la plupart des bâtiments du quartier ne sont pourvus que d’escaliers.

Pour Colette, s’occuper de sa sœur est un vrai sacerdoce et surtout une vraie galère. Elle n’a plus de temps à elle, plus aucune vie perso, elle est sans cesse sollicitée, souvent d’ailleurs pour des broutilles. Sa cadette la phagocyte. Il faut dire que cette frangine est tout sauf facile et qu’elle se montre rarement sympa. La plupart du temps elle fait la vie et elle pleure. Elle est aigrie, irrémédiablement aigrie, elle en veut à la terre entière et, plutôt que d’exprimer une certaine reconnaissance à sa sœur pour tout ce qu’elle fait pour elle, elle préfère lui mettre des bâtons dans les roues et la faire chier comme ce n’est pas permis. Certains soirs, elle pique sa crise, elle emmerde son aînée jusqu’à ce que celle-ci n’en puisse plus, jusqu’à la faire craquer. Colette m’appelle parfois au bord des larmes. Elle en a marre, marre et marre, de toute cette méchanceté. Elle est au bord du gouffre, parfois aussi prête à exploser.

Je vais dîner de temps en temps chez les deux sœurs, Jessica trouve toujours des piques à me lancer. Le jour où elle n’est pas agressive avec moi, elle se montre renfrognée, elle tire une gueule pas possible et reste dans son coin toute la soirée. Je crois qu’elle m’en veut d’être aussi proche de Colette, elle est jalouse des discussions que nous avons parfois ensemble, tout ça l’énerve, tout ça l’agace car elle a l’impression de voir sa sœur lui échapper. Elle préfèrerait que je ne vienne pas et elle sait toujours trouver les mots blessants pour me le faire comprendre.

O-o-O-o-O

Un jour, début mai, Colette m’appelle sur mon portable :

— Fabien m’a proposé de partir avec lui une douzaine de jours en vacances… il veut m’offrir un voyage au Vietnam.— Super ! Et bien dis-donc ma veinarde, c’est un joli voyage de noces.— Conneau ! Il ne m’a pas encore demandée en mariage. Disons que ce sont un peu comme des fiançailles…

Fabien, c’est son nouveau petit copain, je l’ai rencontré deux ou trois fois, toujours en compagnie de sa belle. Il est gentil, aimable, très poli aussi, peut-être un peu trop poli d’ailleurs. Elle m’a demandé ce que j’en pensais. « Je trouve que vous allez très bien ensemble », lui ai-je répondu, plus par affection qu’avec sincérité. Il y a chez ce type un côté glacial et distant que je n’apprécie guère, trop poli pour être honnête je dirais. Enfin ! Le principal c’est qu’elle y trouve son compte. Je suis surtout heureux qu’elle ait enfin trouvé quelqu’un qui puisse l’éloigner un peu de cette vie morne qu’elle mène depuis trop longtemps avec sa sœur. D’ailleurs cette rencontre a un effet positif sur son moral, elle a retrouvé sa joie de vivre et sa bonne humeur d’antan. Inutile de préciser que Jessica n’apprécie pas du tout ce nouvel arrivant. « Qu’est ce qu’il peut être nul, ce mec ! », m’a-t-elle avoué quelques temps après leur rencontre.

— Ce qui m’ennuie, c’est pour ma sœur, enchaîne alors Colette… La dernière fois que je suis partie quelques jours, je l’avais confiée à une de mes voisines mais cela ne s’est pas bien passé du tout, les deux femmes se sont chamaillées et je crois que Christiane ne veut plus entendre parler de Jessica. Tu sais bien qu’elle a un caractère très difficile, la plupart des personnes avec qui j’ai essayé… cela a fait des étincelles. Je ne sais vraiment plus quoi faire avec cette fille ! Si seulement elle était plus arrangeante, si elle y mettait un peu du sien… Écoute Ludo, je ne sais pas trop comment te demander ça… Je ne sais même pas si c’est possible de te le demander, tu vas me trouver folle et peut-être m’en vouloir mais… J’aimerais que tu t’occupes de Jessica en mon absence.

Glurps ! Je ravale ma salive et tourne six fois ma langue dans ma bouche. Un long silence pesant s’installe entre nous. J’ai beau adorer Colette, de là à m’occuper de sa sœur !

— Ça va mal se passer, elle ne peut pas me saquer, lui suggère-je comme excuse (Je n’ai trouvé que ce vil prétexte pour décliner l’invite).— Tu te trompes, elle me parle très souvent de toi, elle me demande ce que tu fais, comment tu vas. Je crois qu’elle t’aime bien mais qu’elle ne sait pas te le montrer.— C’est l’amour vache alors. Dès qu’elle peut m’envoyer une vanne, elle ne s’en prive pas, la salope.— Tu sais, il n’y a pas trente-six mille personnes qui viennent à la maison, nous ne voyons pratiquement plus personne. Parmi mes amis, tu es un des rares qu’elle puisse encore supporter. Je suis sûre qu’elle te considère finalement comme un bon copain, mais elle est tellement stupide qu’elle fait tout pour te dégoûter d’elle.— Elle y réussit bien.— J’ai retourné le problème dans ma tête je ne sais pas combien de fois, je n’ai trouvé que toi pour la garder en mon absence.— Tu as dit combien de jours ?— Quatorze ou quinze grand maximum, en comptant le voyage, peut-être seize avec l’aller-retour à Paris.— Et c’est pour quand ?— Nous partons à la fin du mois.— Bouuh, c’est pour bientôt en plus. Et il ne me reste pas quinze jours de vacances à prendre ; j’ai bien encore quelques RTT, mais certainement pas quinze jours !— Tu n’es pas obligé de rester avec elle toute la journée, tu peux continuer à travailler normalement. Elle a l’habitude de rester seule, moi aussi je travaille d’habitude…— Mais pour revenir le midi, pour moi, ce sera beaucoup plus difficile que pour toi. D’ici à ma boîte il y a presque trente bornes…— Tu n’es pas obligé de revenir le midi, elle est autonome, elle sait faire ses repas. Le problème c’est beaucoup plus au niveau psychologique, techniquement elle se débrouille très bien, elle n’a besoin de personne. Mais elle est incapable de rester seule pendant deux semaines, elle serait capable de faire n’importe quoi et même de péter les plombs… et je ne serais pas tranquille de la savoir ainsi livrée à elle-même.— Je sens que ça va me fatiguer… Elle m’épuise ta sœur ! Je vois bien comment elle est avec toi : il n’y a jamais rien qui aille, jamais rien qui lui plaise.— Écoute, si ça t’embête tant que ça, oublie… je vais demander à quelqu’un d’autre.— Non, tu viens de dire que je suis ton dernier recours, alors je vais le faire, pour toi, parce que je suis certain que tu me rendrais le service en pareil cas. Mais il faut juste que je m’y prépare dans ma tête. Tu viens juste de me l’annoncer, il faut que je me fasse d’abord à cette idée.— Alors c’est oui ?— C’est « oui », tu peux compter sur moi Colette, tu peux toujours compter sur moi, qu’est-ce que je ne ferais pas pour toi ! Tu m’enverras une carte postale, au moins ?— Tu es un chou, je t’en enverrai une tous les jours.— Je ne t’en demande pas tant, profite au moins de ton idylle, savoure les beaux paysages, repose-toi, tu en as bien besoin. Tu vas en avoir plein les mirettes, ma belle.— Oui, je crois, il paraît que c’est super-chouette, là-bas.

O-o-O-o-O


Quelques jours avant son départ, Colette m’invite à dîner un soir. Elle veut mettre les choses au clair avec Jessica. Évidemment, elle l’a déjà longuement préparée et mise au parfum, la brune sait très bien que pendant tout ce temps je vais être son ange gardien. Mais justement, cela commence plutôt mal car elle reste dans son coin, visiblement elle fait la gueule. Elle tire une sacrée tronche, elle dit à peine bonjour, un simple signe de tête. Ça met tout de suite dans l’ambiance ! Et quand sa sœur lui parle, elle fait mine de ne pas l’entendre. Je sens que ça va être super, cette confrontation va tourner au pugilat.

La voici ensuite qui passe à l’attaque en s’adressant insidieusement à sa frangine :

— Mais, dis-moi, madame « j’ai tout prévu », t’as quand même pas imaginé que c’est LUI qui m’aidera à rentrer dans mon bain, ou à aller aux toilettes, ou même à me coucher si j’ai un problème ?

Charmant, elle a insisté lourdement sur le mot « lui », me rabaissant au rang d’objet. Et elle parle à sa sœur comme si je n’étais pas là.

— Je ne veux pas qu’il me touche. Tu m’entends ? Je ne veux pas qu’il me regarde. Je ne veux pas me montrer nue. Une femme, passe encore, mais lui, pas question. Il est hors de question qu’il en profite.

Je ne peux pas m’empêcher d’intervenir :

— Ne t’inquiète pas, je ne compte pas en profiter, je ne vais pas te violer. Je regarderai ailleurs si ça te gêne.— Ah ah ah, trop drôle, je rigole, je suis pliée. Arrête donc un peu de faire ton mariole, tu ne fais vraiment pas preuve d’intelligence. C’est facile de plaisanter comme ça mais je voudrais bien t’y voir, toi, dans un fauteuil roulant, tu serais le premier à chouiner comme une madeleine.— Non, je ne plaisante pas, je regarderai ailleurs, je n’ai aucune intention de te mater.— Tu ne regarderas pas du tout. Je me débrouillerai toute seule, comme d’habitude. Je n’ai pas besoin de toi, tu peux même rester chez toi. Je ne vais pas te supporter comme ça pendant quinze jours.— Qu’est-ce que tu veux Jessica ? intervient alors sèchement Colette. Nous en avons déjà parlé longtemps… Il te faut bien quelqu’un pour t’emmener faire tes courses ou pour fermer tes volets le soir !— Depuis le temps qu’on doit les changer ces volets !— Et si tu te scratches comme l’autre jour dans la salle de bain, qui va t’aider à te relever ?

La voix de Colette trahit la colère et l’impatience.

— En tout cas, pas LUI ! J’aimerais mieux crever sur place…— Si tu préfères, je peux peut-être encore téléphoner pour une aide à domicile, il n’est peut-être pas trop tard.— Pour qu’ils nous envoient encore une inconnue ! Non, merci, j’ai déjà donné. Je n’ai pas besoin d’une conne ni d’une voleuse.— Alors qui, qui veux-tu ? Je te le demande : vas-y, donne-moi un nom !

Mais l’handicapée reste muette. Je sens Colette à bout de nerfs, et presque au bord des larmes.

J’interviens de nouveau, j’essaie de tempérer un peu :

— Écoute, Jessica, mets-y un peu du tien, ta sœur est fatiguée, elle a vraiment besoin de vacances.— Est-ce que j’en prends, moi, des vacances ?— Si tu veux, j’essaierai de faire en sorte que ces deux semaines soient le plus agréables possible pour toi.— Alors, tiens-toi bien à distance, c’est tout ce que je te demande. Et puis, il faudra te remuer un peu plus que d’habitude si tu veux soi-disant m’aider…— On pourrait aller faire un petit tour à la mer.— Pffffuttt, c’est nul la mer. Tu veux que je me baigne avec mon fauteuil ou tu préfères me noyer tout de suite ?— Ludovic a pris quelques jours de congés spécialement pour être avec toi, rajoute alors Colette.— Parce que, en plus, je vais devoir me le supporter, comme ça, toute la journée. Et bien ça promet d’être gai ! De toute façon, je vois bien que je n’ai pas mon mot à dire, cette conversation est donc totalement inutile. Terminé pour moi, faites ce que vous voulez et foutez-moi la paix.

Elle tourne son fauteuil roulant et file dans sa chambre, furax et dédaigneuse.

— J’ai un peu honte de t’avoir mis dans cette galère, conclut Colette.— Ne t’inquiète pas, je suis sûr que ça va bien se passer, il y aura peut-être des moments un peu difficiles, mais je le prends comme un challenge.

Ensuite, nous parlons des modalités pratico-pratiques, les courses qu’il faut faire, ce qu’il faut acheter, ce qu’elle aime, ce qu’elle n’aime surtout pas. Bien penser à fermer les volets car elle ne supporte pas de dormir dans une semi-obscurité. Et puis surtout le rituel du bain. Il faut parfois l’aider un peu à entrer ou à sortir de la baignoire :

— La plupart du temps, elle se débrouille toute seule. Mais cette baignoire n’est pas très pratique et, quand elle n’est pas en forme, elle a parfois des difficultés. Et si elle ne veut pas se montrer toute nue devant toi, et bien elle peut toujours rentrer dedans à moitié habillée, c’est ce qu’elle faisait avec la voisine… Il ne faut pas trop lui en faire, elle est capable de beaucoup de choses par elle-même, elle a une force considérable dans les bras. Mais elle est maline car elle profite de son handicap pour se faire dorloter. Elle dit souvent qu’elle n’y arrive pas, mais j’ai remarqué que c’est surtout pour qu’on s’occupe d’elle. Elle a besoin de compagnie, elle se sent seule et isolée, mais elle ne sait pas l’exprimer… Si tu l’emmènes à la mer, je suis sûre qu’elle en sera ravie, mais elle est bien capable de te dire, comme aujourd’hui, que c’est complètement nase. D’ailleurs, pour elle, tout est nase, la seule chose qui ne serait pas nase c’est si elle avait ses jambes, si elle pouvait de nouveau courir. Et encore, je n’en suis pas si sûre, je me demande parfois si le mal n’est pas plus profond. Le toubib m’a conseillé de l’emmener voir un psychiatre mais elle ne veut absolument pas en entendre parler.

O-o-O-o-O


C’est le jour du grand départ, les deux amoureux sont rayonnants quand ils nous quittent, un taxi les attend devant la porte. Colette me laisse sa voiture, spécialement aménagée pour Jessica. Il a été décidé que j’habiterai pendant les deux semaines chez les deux femmes, c’est encore le plus pratique. Je n’ai amené que mon ordinateur et une petite valise, il sera toujours temps de repasser chez moi si j’ai besoin de quelque chose.

Comme à son habitude, la brunette fait la gueule, elle n’embrasse pas Fabien et lui fait bien comprendre qu’il n’a rien à faire avec sa sœur : sympathique pour des adieux ! Puis, vient le temps des embrassades entre les deux frangines :

— Eh bien, amuse-toi bien, dit simplement Jessica.— J’espère que tout va bien aller pour vous, répond Colette.— Tu parles, c’est juste un mauvais moment à passer, je me suis fait une raison, réplique par dépit sa sœur.

Le mauvais moment à passer, c’est bibi, bien sûr ! Les autres sont à peine partis que déjà elle m’entreprend :

— Je suppose que tu ne sais pas faire la cuisine, tu es comme tous les hommes !— Oh, si, je me débrouille plutôt pas mal.— Enfin si c’est pour nous faire des nouilles et du jambon blanc à chaque repas, très peu pour moi. Il va falloir que je mette la main à la pâte.— Comme tu voudras, mais demain c’est moi qui te préparerai un bon petit dîner.— Je demande encore à voir !

Je la suis dans la cuisine.

— Tu ne vas pas me suivre comme un petit chienchien toute la journée. Alors, fais pas chier, arrête de me coller, je n’ai pas besoin de toi.

Du salon je l’entends remuer les casseroles et, de temps en temps, elle se met à râler. Je m’approche juste au moment où, prenant les deux poêles sur la paillasse, elle les jette violemment sur le sol. S’en suit une volée de « merde, merde, et remerde ». Ah la salope, prise en flagrant délit de manipulation. J’accours alors docilement vers elle :

— Que se passe-t-il ? demandai-je candidement.— Elles sont vraiment trop lourdes ces gamelles à la con, elles m’ont glissé des mains. Et puis cette cuisine n’est pas pratique, cela fait dix mille fois que je le dis à Colette.

Pour cette fois-ci, je ne dis rien. Je ramasse patiemment les deux poêles et je les range en la créditant d’un joli sourire.

— Tu as besoin d’aide, Jessica ?— Merde, regarde-moi ça, j’ai fait cramer le beurre en plus. Putain de putain de putain, qu’est-ce que cela m’énerve.

Du coup, on prépare le repas ensemble ce qui a pour effet de calmer un peu sa rage. Je commence à comprendre un peu le personnage.

Nous passons finalement une soirée plutôt agréable, même si elle trouve encore le moyen de me faire quelques réflexions parce que je n’ai pas rangé les couverts au bon endroit ou parce que, après avoir fermé les volets, il faut aussi tirer les rideaux.

Quand je lui apprends que je dois aller travailler le lendemain matin, elle se met en colère :

— Ah bon, Colette m’avait pourtant dit que tu allais prendre quelques jours pour être avec moi. C’est quoi ces promesses de Gascon ?— Quelques jours oui, mais pas quinze jours, Jessi, je n’ai pas quinze jours à prendre. Je serai avec toi toute la semaine prochaine. C’est déjà pas mal, non ?— Toute une semaine ensemble ? Qu’est-ce qu’on va se faire chier !— Il faut savoir ce que tu veux Jessica, je peux très bien faire autre chose.

Elle se radoucit, me fait la bise et file se coucher. Elle est vraiment pleine de contradictions, cette nana.

O-o-O-o-O


La première journée ne s’est pas trop mal passée, mais dès mon retour, le lendemain soir, elle passe à l’attaque. Tout d’abord j’ai la surprise de trouver un bol de compote brisé sur le sol de la cuisine. Il y en a partout. Je l’avais, paraît-il, mal rangé et il a glissé quand elle a ouvert le frigo. Et puis, elle est énervée car je suis en retard. Elle m’avait pourtant dit qu’elle devait aller faire une course. Alors, si on ne peut pas compter sur moi, ce n’est vraiment pas la peine !

Dans la voiture, elle se montre passablement grincheuse :

— Tiens ta droite, arrête de serrer la voiture d’aussi près, ce que tu conduis mal. Merde ! Je t’avais dit de te garer là, tu ne veux rien écouter… Et voilà, monsieur fait le tour, je le crois pas. Si ça continue, on va arriver après la fermeture !

Plus tard, alors que je m’apprête à pousser son fauteuil :

— Le mieux c’est que je me débrouille toute seule, tu ne crois pas ? Deux semaines avec un nul, cela va vite m’agacer.

Avec la commerçante, elle est à peine polie.

— Vous pourriez me proposer de faire un paquet cadeau.— Je pensais que c’était pour vous, Madame.— Mademoiselle ! Oui, c’est pour moi, et alors ? Je ne peux pas me faire un petit cadeau ?— Si, bien sûr.— Que faîtes-vous ?— Je vous fais votre cadeau.— Non laissez tomber, c’est trop tard. En plus, nous sommes mal garés, ce nigaud a voulu faire le malin, il a raté la place pour handicapés et nous sommes à cheval sur le passage piéton…

O-o-O-o-O


C’est vraiment une mauvaise journée. Mais avec Jessica ce sont souvent des mauvaises journées. Elle ne semble jamais satisfaite de rien. Tout va toujours mal et tout l’horripile.

Mais parfois, c’est, paraît-il, encore bien pire ! Colette m’a raconté qu’une fois, elle l’avait retrouvée dans sa chambre les cuisses toutes brûlées. Sous prétexte qu’elle ne ressentait plus rien aux jambes, elle avait écrasé ses cigarettes carrément sur sa peau. Ça sentait fort le petit cochon brûlé, il avait fallu l’hospitaliser. Une autre fois, elle l’avait récupérée à moitié ivre morte, en train de nager dans son vomi, elle avait éclusé la moitié du bar. Et puis ce n’était pas rare qu’elle casse des choses dans des accès de rage, Colette ne comptait plus les objets qu’elle devait remplacer.

Depuis la mort de sa mère, Jessica se raccroche désespérément à sa sœur, à tel point qu’elle la vampirise, elle la fait tourner en bourrique et est rarement aimable avec elle. Souvent, ses accès de folie coïncident avec les moments où sa frangine la confie à quelqu’un d’autre. Ça ne se passe jamais bien, il y a toujours des problèmes. Colette m’a prévenu que ce serait difficile. Elle compte sur moi, je suis un peu sa dernière chance, « tout ce qu’elle a tenté jusqu’à présent s’est toujours soldé par un échec », cette phrase m’a marqué, lourde responsabilité que d’être une dernière chance.

— Je te jure que si ça se passe encore mal avec toi cette fois-ci, la prochaine fois que je m’en irai, je la placerai dans un institut spécialisé. Tant pis pour elle ! Quoique… un jour elle m’a menacé : « Si tu fais ça, je me suicide ! »

Mais surtout, Colette angoisse pour l’avenir :

— Si un jour je vis avec quelqu’un, comment ça va se passer ?

Mal, probablement ! Un jour que je lui demandais pourquoi elle n’essayait pas tout simplement de lui trouver un appart pour elle toute seule :

— J’ai promis à maman de m’occuper d’elle. Je l’ai juré sur son lit de mort. Et puis, tu te rends compte, si un jour il arrivait quelque chose, je m’en voudrais toute ma vie. Elle est imprévisible, capable de n’importe quelle connerie. Je ne serais pas tranquille, je me demanderais sans cesse ce qu’elle est en train de comploter, si elle va bien, si elle n’a pas un accès de rage. Et puis tu oublies qu’elle ne connaît personne. Ses rares amis, elle les a découragés, parfois même complètement dégoûtés, jusqu’à sa meilleure amie d’enfance qui ne veut plus entendre parler d’elle… Alors des amis elle n’en a plus aucun. Quant à mes amis, elle les déteste. Je te jure qu’avec ça on est plutôt bien.— Tu ne peux pas rester comme ça toute ta vie, Colette. Elle te bouffe ton existence, tu la traînes derrière toi comme un boulet. Tu parlais un jour de psychiatre, ce qu’il lui faudrait c’est une thérapie sérieuse … qui lui fasse prendre conscience de certaines choses.— Eh bien, tu n’as qu’à essayer de la convaincre. Si tu y arrives, chapeau, je te donne tout ce que tu veux : mon corps, mon âme, ma fortune…— Je ne t’en demande pas tant, un bon gueuleton dans le meilleur restaurant de la ville suffira.— Chiche !— Tope-là !

O-o-O-o-O


J’étais en train de repenser à tout cela quand un piéton a subitement traversé la route. Je pile comme un malade. Jessica qui n’a pas mis sa ceinture manque de se prendre le pare-brise.

— Mais putain, t’es con ou quoi !

S’en suit une volée de baffes qu’elle essaye de m’asséner.

— Mais t’es un grand malade, un abruti, qu’est-ce que je fous avec toi ?— Je ne sais pas qui est malade ici.— Qu’est-ce que tu veux dire par là ?— Que ce n’est pas la peine de te mettre dans des états pareils.— Tu as failli m’emplafonner !— D’accord, qu’est-ce que tu veux que je te dise, je m’excuse d’avoir freiné, j’aurais dû écraser ce piéton… Mais si tu mettais ta ceinture !— Oh, fais pas chier, j’ai l’impression d’être compressée avec.— Tout le monde met la ceinture, c’est rentré dans les mœurs, ma vieille.— Eh bien pas moi, et puis m’appelle pas ma vieille, je suis plus jeune que toi… Bon alors, qu’est-ce que tu fais ? Tu prends racine ou quoi ? On ne va pas rester plantés là.— J’attends que tu mettes ta ceinture. N’importe qui peut traverser à tout moment, un enfant, un chien, un vélo peut glisser, on peut être obligé à tout moment de freiner.— C’est certain, quand on ne sait pas conduire… Tu n’as qu’à pas rouler si vite d’abord, tu conduis comme un taré. Tous les mecs conduisent comme des tarés, histoire de faire les malins pour se faire remarquer. Allez, démarre !— J’attends.— Fais chier, voilà, je la mets, cette connerie de ceinture, t’es vraiment qu’un connard.— Alors, comment te sens-tu ? Compressée ?— Va te faire foutre. Ramène-moi chez moi et arrête de me parler. J’en ai rien à foutre de tes conneries.

Le repas du soir est une vraie soupe à la grimace. Parce que je lui ai dit qu’il y a une bonne émission sur la une, évidemment, elle met la deux, un truc dormissif au possible. Et puis, son steak n’est pas assez cuit, alors je le refais cuire, mais du coup il est trop cuit. J’en ai un peu ras le bol à vrai dire, se faire la gueule comme ça pendant des heures, ce n’est vraiment pas mon truc.

Ensuite elle va se coucher et, je ne sais pas trop pourquoi, une intuition sans doute, je ne suis pas trop tranquille. Alors je vais voir ce qu’elle fait. Elle dort la porte entrouverte au cas où elle aurait besoin d’appeler, encore un vieux rituel un peu bizarre que sa sœur subit au quotidien, et il faut également que Colette laisse sa porte entrouverte afin qu’elle puisse éventuellement l’entendre. Question intimité, cela doit être vraiment pratique quand Fabien passe la nuit à la maison, ils ne doivent pas pouvoir faire grand chose. Ils repoussent peut-être provisoirement la porte, mais ils doivent quand même se sentir épiés.

Pour l’heure, Jessica est assise dans son lit, elle n’arrête pas de zapper. De temps en temps, elle ronchonne dans son coin, probablement contre moi. Quelque part elle m’en veut de l’avoir remise à sa place. Elle pose ensuite la télécommande et saisit la lampe en verre qui est posée sur la table de nuit. Elle la regarde un long moment comme si elle voulait lui dire adieu. Puis, la soulevant au maximum, elle la laisse chuter sur le parquet ce qui a, bien entendu, pour effet de la briser.

— Ludovic, crie-t-elle. Ludovic, qu’est-ce que tu fais ? Où es-tu ? Viens ! La lampe s’est cassée, il y a du verre partout…

La salope ! Tranquillement, je rentre dans la pièce en arborant un large sourire.

— Ça te fait rire, m’invective-t-elle. Tu ne te rends pas compte, j’ai failli me couper.— Pourquoi l’as-tu cassée ?— C’est en voulant prendre la télécommande, j’ai donné un coup de coude, ça l’a faite tomber.

Je m’approche, repousse les bouts de verre avec mon pied et m’assois tranquillement sur le bord du lit.

— Écoute, Jessica, j’étais là, j’ai vu ce qui s’est passé. Ça sert à quoi ce cinéma ?— Tu m’espionnais ?— Je regardais si tout allait bien.— Non, mais je rêve, tu m’espionnais ! Tu veux peut-être aussi voir ma petite culotte ? Je le crois pas. Monsieur m’espionne, Monsieur est un mateur. Faut te faire soigner mon pote !— Si tu me racontais plutôt pourquoi tu l’as cassée cette lampe ? C’est juste pour me faire chier ? Si tu ne l’aimais pas, il suffisait de la mettre à la poubelle.— Tu m’emmerdes, j’aime pas les donneurs de leçon. Ton cinéma dans la voiture, tout à l’heure, ça ressemble à quoi ? Tu peux me le dire ? Ce n’est pas parce que je suis handicapée que tu dois me traiter comme une petite fille.— Ce n’est pas parce que tu es handicapée que tu as le droit d’emmerder le monde.— Je n’ai rien dit de spécial.— Tu n’arrêtes pas. Tu n’es jamais contente. Il n’y a jamais rien qui va. Tu ne peux pas essayer de faire des efforts pour être un peu heureuse ?— Eh bien vas-y, qu’est-ce que t’attends, prends-le mon fauteuil, je te le donne, et prends mes jambes avec. Tu verras ce que c’est de ne plus pouvoir marcher. J’aimerais bien t’y voir, à ma place. Et moi je serais tranquillement à la tienne, et je me la jouerais cool : « Je ne comprends pas, Ludovic, que tu ne fasses pas quelques efforts pour essayer d’être heureux ! Prout, prout. ». Tu ne te sens pas un peu péteux quand tu réagis comme ça ?— Mais moi j’y suis vraiment pour rien, Jessica. Je veux bien être ami avec toi, faire tout ce que tu veux pour essayer de te faire plaisir, mais je ne peux pas remplacer tes jambes. Et puis il faut bien que tu comprennes que si je fais des choses pour t’être agréable et que cela ne te contente pas, cela ne me donne pas vraiment envie de recommencer.

C’est alors que je vois une larme rouler le long de sa joue :

— Mais moi je ne voulais pas l’avoir, cet accident !

Elle se met alors à sangloter, de plus en plus fort, de plus en plus vite. Il faut que ça sorte, elle en a gros sur la patate.

— Les garçons, ils avaient trop bu ce soir-là, mais ils voulaient quand même aller finir la soirée dans une autre boîte. Et moi j’ai insisté pour venir avec eux, parce qu’il y en avait un qui me plaisait, tout simplement. On n’a pas fait trois kilomètres. Le conducteur a loupé un virage et la voiture a fait plusieurs tonneaux avant de s’arrêter dans un champ. Quand je me suis réveillée, j’étais à l’hôpital, je ne ressentais plus rien.

Ses larmes n’arrêtent plus de couler ; alors, je la prends dans mes bras et la serre contre moi. Elle se laisse aller, son corps secoué par les sanglots. C’est la première fois que nous sommes, comme ça, aussi proches.

— Maintenant ma vie est foutue, complètement foutue. J’aimerais parfois mourir.— Ne dis pas ça, Jessi…— Regarde-moi. Que veux-tu que je fasse, je ne suis plus bonne à rien ?— Tu n’es pas la seule personne à avoir perdu l’usage de ses jambes. Certains sont beaucoup plus handicapés que toi et ont malgré tout des vies formidables. Il suffit d’en avoir envie, de s’en donner les moyens. Tu pourrais te trouver un travail, fonder une famille, avoir des amis.— Je n’aime pas la façon dont les gens me regardent, pour eux je suis une anormale, une pauvre fille, une malheureuse.— Si tu aimais un peu plus les gens, ils t’aimeraient aussi d’avantage.— Ce sont eux qui ne m’aiment pas.— Mais fais-tu des efforts pour aller vers eux ?

Elle se blottit un peu plus contre moi pour me faire un gros câlin. C’est la première fois que nous partageons un peu d’affection, ce n’est pas désagréable. Nos contacts se sont résumés jusqu’à présent à quelques bises, bonjour, bonsoir, ou encore le jour de nos anniversaires, mais au-delà elle semblait réticente à toute marque sentimentale. Du coup, je la trouve plus humaine, je sens son corps palpiter, je ressens sa chaleur, ses sanglots font d’elle une femme qui souffre. Ce n’est plus la mégère agressive et hargneuse que j’ai l’habitude de fréquenter.

Nous restons ainsi un bon moment dans les bras l’un de l’autre. C’est moi qui romps le charme en la repoussant légèrement.

— Ça va aller, Jessica ?

Elle secoue affirmativement la tête. Avec mes doigts, je sèche ses larmes qui roulent encore le long de ses joues.

— Je m’excuse, me dit-elle. Je vais essayer d’être forte…

Elle rit d’un rire un peu forcé :

— … et d’être un peu plus sympa avec toi.— Et la semaine prochaine, si tu veux, on ira se balader quelque part.— En Normandie ? Tu sais, là où nous étions allés une fois avec Colette.— Dieppe ? Étretat ? Nous avions fait toute la côte du Tréport à Cabourg.— J’aimerais beaucoup revoir ces falaises.— En attendant, je vais ramasser les bouts de verre.— Je suis désolée, en plus je l’aimais bien cette lampe, je suis vraiment trop conne.— On en rachètera une autre, on le dira pas à Colette.

Je me penche vers elle et lui fais un petit bisou sur la joue.

— Allez Jessi, sois sage, je reviens de suite.

O-o-O-o-O


Le lendemain matin, nous recevons un coup de téléphone de Colette. Ils vont bien, ils ont fait un bon voyage et les paysages sont splendides. Pour l’instant ils sont en baie d’Halon.

— Et comment ça va avec ton amoureux ?

Elle préfère ne pas répondre, j’en déduis qu’il est dans les parages. Mais sa voix est chantonnante et je devine que ça se passe plutôt bien.

— Et toi avec Jessica ?— Impeccable, aucun problème.— Vraiment ? C’est vrai ce mensonge-là ?— Je te jure, tout va bien, d’ailleurs je vais te la passer.— D’accord, mais après je te reprends.

J’emmène le téléphone à Jessica qui est en train de se maquiller dans sa salle de bain. Les deux femmes conversent ensemble un bon moment puis Jessica me rappelle. Colette a apparemment encore quelque chose à me dire :

— Eh bien, je ne sais pas ce que tu lui as fait mais je ne l’ai encore jamais vue comme ça. Elle est comme transformée. Je crois que je vais partir plus souvent et la mettre en pension chez toi.— Pourquoi pas ? Si ça te fait plaisir.— Non, je plaisante, évidemment. Mais elle a l’air vraiment en forme… Je te fais plein de gros bisous et je te dis « à très bientôt », je pense que je vous rappellerai dans le courant de la semaine prochaine.— On va aller en Normandie, mais je ne sais pas encore quand.— Ah, très bien. Eh bien, si vous n’êtes pas là, laissez-moi un message sur le répondeur. Bisous, Ludo.— Bisous, ma puce.

Quand je la rejoins, Jessica est en train de préparer le petit déjeuner.

— Et aujourd’hui tu restes avec moi ?— Je ne peux pas Jessi, en plus j’ai une réunion importante.— Oh, mince, moi qui me faisais une joie.— Encore aujourd’hui et demain au travail et après c’est le week-end.— Qu’est-ce que je vais faire toute seule toute la journée ?— Ce que tu fais d’habitude.— D’habitude, je m’ennuie. Tu ne pourrais pas au moins rentrer pour le déjeuner ?— Ça va être très difficile.— Et c’est toi qui parle de faire des efforts ! Tu en fais, toi, des efforts ? Tu ne m’as même pas dit que j’étais bien maquillée.— Oh si, tu es très bien maquillée, tu es très jolie comme ça.— Va te faire foutre. Si c’est pour rester toute la journée toute seule ici, ce n’était vraiment pas la peine.

Première engueulade de la journée. Mais je suis vraiment trop préoccupé ce matin-là pour m’attarder à ça. Elle fait son boudin, elle ne veut pas me dire « au revoir », eh bien tant pis pour elle.

— À ce soir, Jessi.

O-o-O-o-O


Quand je reviens le soir, sur la route du retour, je suis pris par une sorte d’appréhension. Peut-être est-ce à cause de ce simple petit détail : le regard qu’elle m’a lancé quand j’ai poussé la porte, lorsque je l’ai quittée.

En rentrant dans l’appartement, j’appelle, pas de réponse. Je la trouve finalement dans la salle de bain, le spectacle est dantesque. Il y a des traces de sang partout, sur le lavabo, sur le carrelage, sur la cuvette des toilettes. Son fauteuil roulant est renversé et elle est assise, complètement hagarde, dans la baignoire. Elle est entièrement nue. Ses vêtements ensanglantés trainent un peu partout dans la pièce.

Elle s’est tailladé les bras mais de façon apparemment très superficielle car le sang a déjà séché, mais il y en a un peu partout, sur son corps et dans la baignoire.

— Mais qu’est-ce que tu as fait Jessi ? Pourquoi tu as fait ça ?

Ma première réaction est de rebrousser chemin pour aller chercher du secours mais c’est elle qui me retient :

— Où vas-tu ?— Je vais appeler quelqu’un.— Je t’en prie, ne fais pas ça. Je te jure que ça va aller, je vais tout nettoyer, n’appelle personne, j’aurais trop la honte.

C’est alors que je remarque la bouteille de whisky cassée dans un coin de la pièce.

— En plus tu as bu ! Et tu as bu beaucoup ?— J’ai fini la bouteille.— Elle était presque pleine. Mais pourquoi tu te mets dans des états pareils ?— Arrête de me regarder, ça me gêne.

Dans un geste de pudeur, elle tire à elle le paravent. J’entends de l’eau couler.

— Ne t’inquiète pas, je vais tout nettoyer. Par contre si tu peux ramasser les morceaux de verre, je veux bien.

C’est ce que je fais, je vais chercher la balayette et la pelle, ainsi qu’une éponge pour m’occuper des traces de sang.

Dans la baignoire, l’eau coule toujours, elle est en train d’essayer de dessaouler. Je l’imagine le lendemain avec une sérieuse gueule de bois.

— Ça va, Jessica ?— Oui, ça va. Est-ce que tu pourrais, s’il-te-plaît, aller me chercher une serviette propre. Tu n’as qu’à prendre la verte qui est sur la deuxième étagère de mon armoire.

Elle tient absolument à se remonter toute seule dans son fauteuil roulant qu’elle m’a demandé de remettre d’aplomb tout près de la baignoire. Elle ne veut pas que je l’aide. Mais, après plusieurs tentatives infructueuses, elle doit s’avouer vaincue. Son bras lui fait trop mal et l’alcool aidant, elle n’a plus toute sa force et a beaucoup de mal à se redresser. Quelques tractations plus loin, elle consent enfin à ce que je la porte dans sa chambre. Elle s’enrobe dans la grande serviette et accepte que je la prenne dans mes bras pour la mener jusqu’à son lit.

— Tu t’es bien rincé l’œil ? Ça t’as plu de me toucher ? me demande-t-elle, assez agressive, une fois que je l’ai reposée sur sa couche.

Plutôt que de lui répondre, je vais chercher la trousse à pharmacie. Tout d’abord deux Alka Selzer pour le mal au crâne. Ensuite j’entreprends de nettoyer ses blessures. Ça doit pourtant la piquer mais elle ne moufte pas, pas même une grimace, elle n’a pas l’air du genre douillette.

— Pourquoi as-tu fait ça Jessica ?— J’étais trop malheureuse. C’est vrai, ce matin, je m’étais bien préparée pour toi. Mais tu m’as à peine regardée et ensuite tu m’as abandonnée à mon triste sort.— Mais je t’ai expliqué que j’avais une réunion importante aujourd’hui. Si tu me fais des choses comme ça tous les jours, je ne pourrai plus te laisser seule.— Tant mieux.— Ce n’est pas non plus une manière de faire. Je ne peux pas rester tout le temps avec toi.— Pourquoi ?— Parce que j’ai du travail.— Et moi je ne travaille pas… et je n’ai pas non plus de petit ami. Tu te rends compte, depuis mon accident, j’ai eu très peu d’amants et tous ceux que j’ai eus, ils ne sont pas restés.— Pas étonnant si tu leur as mené la vie que tu nous mènes parfois.— Ce n’est pas parce que mes jambes sont insensibles que je suis insensible de partout, ajoute-t-elle laconique… J’aimerais, moi aussi, avoir une vie sexuelle.— Qu’est-ce qui t’en empêche ?— Le fait que je sois seule.— Pourquoi tu ne cherches pas à rencontrer quelqu’un ?— Un handicapé, comme moi ? Tu nous imagines en train de nous sauter dessus en fauteuil roulant ?— J’imagine que les handicapés se marient tout aussi bien avec des gens valides.— Mais qui voudrait de moi ?— Je ne sais pas. Tu es plutôt jolie et je te trouve bien faite…— Ah, tu vois, mon salaud, tu m’as vraiment matée…— Je ne vois pas pourquoi tu ne te trouverais pas un garçon qui s’intéresse à toi ? À part peut-être ton caractère…— Et je vais le trouver comment, moi, ce garçon ? T’imagine quand même pas que je vais aller draguer en boîte avec ma sœur !— Il n’y a pas que les boîtes pour faire des rencontres. Tu es beaucoup trop casanière, tu restes tout le temps chez toi. Tu pourrais t’inscrire à un club, participer à des soirées.— Tu en vois beaucoup toi des handicapés dans les clubs ?— Et même en restant chez toi, tu pourrais dialoguer sur Internet, ce n’est pas bien compliqué, je suis sûr que tu t’y mettrais très vite. Je peux te donner des cours si tu veux.— Tout ça pour te débarrasser de moi !— Comment ça, pour me débarrasser de toi ?— Ben oui, mon petit ami, ça pourrait tout simplement être toi ! Tu ne t’es pas gêné tout à l’heure pour me mater avec tes yeux lubriques. Ça t’a plu de bien me reluquer !— Tu parles, il y avait du sang partout.— Mais oui, c’est cela, j’en avais très peu, de sang, sur la poitrine, et c’est là que tu m’as le plus regardée.— Forcément les garçons sont attirés par les seins des filles, c’est la nature qui veut ça.— Eh bien, puisqu’ils te plaisent, regarde-les, ne te gêne pas.

Sur quoi elle ouvre la serviette pour me dévoiler sa poitrine nue.

— Alors, qu’en penses-tu ? Tu les trouves à ton goût ?— Ils sont vraiment très beaux.— Pourquoi tu ne les embrasses pas ?— Arrête de jouer à ça, Jessica, on ne tombe pas amoureux comme ça.— Qui te parle de tomber amoureux, on pourrait juste faire l’amour pour le plaisir. Tirer un coup, comme vous dites, vous les mecs. Ça te plairait pas de baiser une petite handicapée ?— Jessica, arrête !— Comment fait-on quand on a très très envie de baiser ?— On en reparlera plus tard quand tu seras dégrisée.— Chiche… On en reparlera. J’ai beau être un peu pompette, mais je m’en souviendrai.— Tu veux manger quelque chose ?— Non, je n’ai pas faim. Je veux juste un bisou.

Je me penche alors vers elle pour l’embrasser sur la joue.

— Non, pas comme ça, un bisou sur la bouche. Juste un petit bisou, ça ne t’engage à rien. Je ne te demande pas d’y planter ta queue. Je te jure qu’après je te laisserai tranquille.

Je consens, pour lui faire plaisir, à déposer mes lèvres sur les siennes. Elle ne réclame pas plus et en semble satisfaite. Elle s’enfonce lentement sous les draps pour essayer de dormir un peu.

Je reviens dans la soirée, d’abord pour lui nettoyer à nouveau ses blessures qui ont un peu suinté et pour lui donner d’autres comprimés car elle a, à nouveau, très mal aux cheveux. Elle est entièrement nue dans son lit et c’est vrai que sa poitrine bien ronde a le don de m’exciter. Elle a de très jolis seins et d’une taille fort généreuse.

Elle réclame à nouveau un bisou sur les lèvres avant de retourner gentiment sous sa couette.


O-o-O-o-O


Le lendemain matin, je téléphone au bureau pour leur dire que je ne viendrai pas. Je ne donne pas trop d’explication, je leur dis juste que je suis malade, que je me sens vaseux, que j’ai très mal au ventre. Devant la secrétaire, je fais un peu mon larmoyant : « Dommage de tomber ainsi malade juste avant mes vacances », histoire qu’elle aille dire au patron : « Oh, le pauvre, il est tombé malade juste avant ses congés, il ne va pas pouvoir en profiter. »

Jessica se réveille sur les coups de neuf heures. Elle est encore dans le potage. Plusieurs fois, cette nuit, j’ai dû lui apporter une bassine, elle avait envie de vomir mais se contentait de tirer au cœur et de cracher de la bile.

— Ah, tu es là. Je croyais que tu travaillais aujourd’hui.— J’ai appelé au bureau, tu es malade, je ne peux pas te laisser toute seule dans cet état.— Ohhh, ça va quand même mieux qu’hier, même si j’ai une sacrée gueule de bois. Mais je trouve ça quand même vraiment chouette que tu restes avec moi.— Je vais te préparer un autre Alka Selzer.— Je vais surtout prendre une bonne douche pour me remettre les idées en place.— Tu veux que je t’y emmène ?— Comment je fais quand tu n’es pas là ? Et tu vas encore en profiter pour me mater les seins. Je te connais maintenant, tu en uses et tu en abuses, tu es plutôt pervers comme mec.— Pffuuut ! Cette nuit c’est plutôt toi qui me les as montrés.— Parce que tu voulais les voir, tout simplement.— Et comment vont tes bras ?

Elle retire d’un coup le drap, me dévoilant sa poitrine et ses bras, jusqu’à son ventre rond. Je trouve que plus ça va, plus elle s’exhibe et je sais qu’elle le fait exprès.

— Le gauche a l’air de bien cicatriser mais le droit a deux blessures assez vilaines. Je me demande s’il ne faudrait pas montrer ça à un toubib.— Et au milieu, comment ça se passe ?— Plutôt pas mal.

Elle prend ses seins dans ses mains et les soupèse.

— Tu ne crois pas qu’il leur faudrait un petit massage ?— Coquine !— Eh bien tant pis pour toi, puisqu’ils ne t’intéressent pas, moi je les range. Je vais aller prendre ma douche et je te rejoins tout à l’heure au petit déjeuner, ça te va ?

Je descends lui chercher des croissants. Après le déjeuner, je lui refais ses pansements. Elle ne veut pas entendre parler de médecin, elle m’assure que « ça ira comme ça », qu’elle ne risque pas la gangrène.

— Super, t’es vraiment chou. Puisque tu as pris ta journée, on pourrait aller visiter un musée.— Si ça te fait plaisir.— Tu m’as dit qu’il fallait que je sorte pour que je me trouve un petit copain. Alors, allons-y, partons à sa rencontre.

Nous passons une très agréable journée, sans dispute, sans friction. Ça commence par la visite du musée d’art moderne, ce qui donne l’occasion à Jessica de bien rire en s’interrogeant sur certaines œuvres.

— Tu crois qu’il a voulu dire quoi le monsieur ? On dirait une poêle à frire. Ah, et puis celle-là, blanc sur blanc, je serais presque capable de la peindre.— Oui mais ce n’est pas n’importe quel blanc.— Hi hi.

Ensuite elle veut aller au cinéma. Des siècles qu’elle n’a pas mis les pieds dans un ciné, en fait pas une seule fois depuis son accident. Petit passage avant au MacDo pour nous remplir la panse avant de nous réfugier au fin fond d’une salle obscure. Blottie contre moi, Jessica se fait alors très chatte. Je me demande si elle est là pour le film ou pour se coller à moi.

— Prends-moi un peu dans tes bras, comme si on était des amoureux, réclame-t-elle.

Elle se love contre mon épaule.

— Je t’aime, me glisse-t-elle à l’oreille en plein milieu du film, ce qui me gêne un peu car je ne voudrais pas lui donner trop de faux espoirs.

Mais elle doit prendre mon absence de réponse comme une sorte d’encouragement à continuer car je la sens encore un peu plus chatte et toujours plus proche de moi.

Ensuite on se balade longuement en ville dans le quartier piéton. Elle se laisse driver et me demande de la pousser plus vite. Elle est vraiment joyeuse, cela fait plaisir à voir. Je crois que je ne l’ai encore jamais vue ainsi, tout le contraire de la Jessica maussade et agressive qu’elle est beaucoup trop souvent. Nous faisons un peu de shopping avant de rentrer à la maison.

— Ludovic, j’ai passé la plus belle journée de ma vie depuis mon accident. Tu vois que je peux être heureuse !

O-o-O-o-O


Après dîner, nous sommes assis côte à côte sur la banquette.

— J’aimerais connaître tes sentiments, Ludo. Tu ne m’as pas dit que tu m’aimes, c’est donc que tu ne m’aimes pas. Mais pourquoi tu ne m’aimes pas ?— Je n’ai pas dit ça, je t’aime, mais plus comme une copine.— Mais tu n’es pas amoureux de moi ?— C’est difficile à dire, je te trouve vraiment très demandeuse.— Trop demandeuse ? C’est peut-être parce que je suis restée trop longtemps malheureuse. Je suis en manque d’amour. Mais peut-être que, si je me sentais un peu aimée, je ne serais pas du tout comme ça… Il faut aussi apprendre à me découvrir. Je ne pense pas être une chieuse, ni un pot de colle et encore moins une garce. Je n’ai peut-être pas toutes les qualités mais je ne réclame qu’un peu d’amour… Et je n’ai besoin que d’une seule chose, je n’ai besoin que de TON amour…— Mais pourquoi moi, Jessi ? Pourquoi moi ?— Tout simplement parce que tu me plais bien, que je te connais depuis longtemps, que j’ai eu le temps de t’étudier, de t’apprécier. Je crois que je serais bien avec toi…— Effectivement, ce sont de bonnes raisons.— Et aussi parce que tu es le seul à qui je pense. Je me suis toujours demandé ce que tu fichais avec ma frangine qui ne t’as jamais vraiment aimé.— Je ne suis pas avec Colette, c’est juste une bonne copine.— Tu ne recherches pas l’amour ?— Si mais pas avec ta sœur… j’ai connu l’amour ailleurs.— Et moi, je ne te plaisais pas ? Pourquoi tu m’as jamais draguée ? Je ne demandais que ça. À chaque fois que tu venais je me faisais une joie… et puis ensuite j’étais déçue… j’aurais voulu que tu viennes rien que pour moi, j’enrageais que tu ne me regardes pas… Je ne te plaisais vraiment pas ?— C’est à dire que je ne me suis jamais posé la question. Je te trouvais vraiment trop chiante, le prototype des emmerdeuses. Tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais à certains moments, tu es insupportable. Tu rends ta sœur très malheureuse. Je ne sais pas combien de fois elle m’a téléphoné le soir au bord des larmes.— Mais pourquoi elle ne m’en parle pas, ce serait si simple d’en discuter ?— Elle t’en parle tout le temps Jessi, mais toi tu ne l’écoutes pas. Tu es centrée sur toi-même, tu ne penses qu’à toi.— Tu veux dire que je suis un monstre ?— Un joli monstre mais un monstre quand même.— Ça c’est plutôt gentil. Mais qu’est-ce qu’il faudrait que j’améliore chez moi pour pouvoir un peu te plaire ?— Que tu sois plus souriante, plus détendue, pleine de joie de vivre, que tu ailles vers les autres ; un peu comme aujourd’hui, je t’ai trouvée géniale.— Géniale peut-être, mais tu ne voudrais surtout pas vivre avec moi, c’est le côté « handicapée » qui te gêne. Je serais un poids pour toi et cela te ficherait la honte vis à vis de tes amis de sortir avec moi.— N’importe quoi, qu’est-ce que tu ne vas pas inventer ! Et fiche-moi la paix avec tes histoires d’handicapée. Quand il s’agit de faire des conneries, je ne vois pas où il est ton handicap. Ça a commencé l’autre jour dans la cuisine, quand tu as fait tomber les poêles, tu croyais peut-être que je ne t’avais pas vue. Tout ce que tu fais c’est toujours pour dire « aidez-moi », « aimez-moi », mais toi, est-ce que tu aimes les autres ? Est-ce que tu m’aimes vraiment ou as-tu seulement envie d’être aimée par moi ?— Ça, tu devrais le savoir, je n’arrête pas de te le dire… J’ai des envies très simples. Je voudrais simplement que l’on soit amoureux et que tu cesses de me voir comme une anormale.— Mais, enfin, arrête ! Je ne te vois pas comme une anormale ! C’est toi qui te considère ainsi. Ton handicap, il n’est gênant que pour toi, je ne le vois vraiment pas comme un problème, ton handicap il n’est que dans ta tête.— Mon handicap, c’est que tu ne m’aimes pas…— C’est pas vrai, Jessi, j’ai beaucoup d’affection pour toi. En plus, je te trouve belle et séduisante. Et puis très riche intérieurement, pas seulement intelligente mais surtout très intéressante, avec tout ce qui trotte dans ta petite tête à longueur de journée, je suis sûr qu’on ne doit vraiment pas s’ennuyer avec toi.— Tu parles. Entre ma sœur et moi, il n’y a pas photo, tu choisirais ma sœur. Déjà qu’elle est beaucoup plus belle que moi. Et puis, au moins, elle, elle a réussi. Elle a un bon job, elle a fait carrière, elle a tout plein d’amis…— Es-tu à ce point jalouse ? Pourquoi te comparer toujours à elle ? Physiquement je trouve que tu n’as pas grand chose à lui envier, tu n’as pas le même physique qu’elle mais tu as un charme fou. Entre elle et toi, je te jure, je n’hésiterais pas une seule seconde… Tu as du peps, Jessi, je te trouve divine et ensorceleuse.— Alors prends-moi ! Je suis disponible, ouverte, sensible à tes approches, que puis-je faire de plus pour te séduire ?— Changer ta façon d’être, avoir bon caractère. Si tu pouvais être tous les jours comme tu as été aujourd’hui, tu serais une femme parfaite.— Mais je suis une femme parfaite.— Tu ne te rends peut-être pas compte mais tu nous en as vraiment fait baver, Jessi. Tu nous as mené une de ces vies pendant toutes ces années…— Ni toi, ni ma sœur, ne m’avez jamais aimée. J’ai toujours senti que j’étais pour vous un fardeau, un problème à régler, c’est tout ce que je vous inspire.— Encore une idée fausse. Si tu veux qu’on te donne de l’amour, il faut que tu saches, toi aussi, en donner.— Tu veux que je te taille une pipe ?— Arrête de déconner, t’es pas drôle quand t’es comme ça. J’essaie de te parler sérieusement mais tu me réponds par une pirouette.— Allez, cheese, ce n’était qu’une mauvaise plaisanterie. N’empêche que je suis sûre que tu ne dirais pas non si je te taillais une petite pipe.— Bon ça va, tu m’agaces, je te laisse à tes délires et je vais me coucher.— Monsieur est ronchon, il me refuse son sucre d’orge. Je ne sais pas lequel des deux a un petit caractère, peut-être pas celui qu’on croit !— C’est cela, bonsoir.

C’est ainsi que cette journée, pourtant bien commencée, se termine plutôt mal. Elle a le don de m’agacer. Nous nous faisons à moitié la gueule, une fois de plus.


O-o-O-o-O


Le lendemain matin je la vois débarquer avec un plateau dans ma chambre, pas banal avec son fauteuil roulant. Elle est déjà lavée, maquillée, pomponnée. C’est vrai que, malgré ses traits grossiers, elle est plutôt jolie. Elle a surtout un visage très expressif, avec des yeux d’une intelligence diabolique, brillants comme de petits diamants. Sa bouche surtout, quel plaisir de regarder cette bouche avec plein de petites mimiques, pleine de petits rictus. Elle ne rentre pas dans les canons de la beauté telle qu’on la trouve dans les magazines de mode, mais elle est passionnante.

— Petit déjeuner au lit pour me faire pardonner, annonce-t-elle de bonne humeur.— Tu es très en beauté ce matin.— Hum, merci. J’aimerais qu’on passe toute une journée sans se disputer, je vais faire tout mon possible de mon côté.— Je vais essayer d’être à la hauteur… Il faut que j’aille au club de tennis ce matin, j’entraîne de jeunes joueuses… Tu veux venir avec moi ?— Mais qu’est-ce que je vais y faire ?— Tu verras, c’est très sympa, il y a toujours quelqu’un à qui parler.— Tu veux à tout prix me caser ?— Non, je veux juste te faire rencontrer des gens. Tu es enfermée depuis trop longtemps, il faut que tu t’ouvres au monde.

Finalement, Jessica est ravie de cette matinée. Elle discute avec deux petits jeunes qui attendaient sur un banc entre deux matchs. Puis un de mes amis vient lui tenir le crachoir pendant un long moment. Tous les membres du club sont venus lui dire bonjour, intrigués qu’ils sont de voir une femme en fauteuil roulant sur un terrain de tennis.

— Tu vois qu’ils sont sympas.— Très sympas. Et ton ami, qu’est-ce qu’il peut être bavard ! Tu sais ce qu’il m’a demandé : depuis combien de temps je te connaissais et si nous étions vraiment ensemble.— Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?— À la seconde question : « Je ne sais pas encore ». Ça lui a semblé bizarre. Je n’ai pas osé rajouter « mais je ferai tout mon possible pour que ça se fasse ». Tu vois, ça te laisse quand même un maigre espoir de te débarrasser de moi. Il a paru surpris que tu ne sois plus avec ton anglaise. C’est vrai que tu étais avec une anglaise ? Tu ne nous as jamais parlé d’elle.— C’est une histoire un peu compliquée, c’est une anglaise qui vit en Écosse et nous nous voyons assez rarement.— Qu’est-ce qu’elle a de plus que moi ?— Je ne sais pas, elle est étonnante.— Et moi je ne t’étonne pas ?— Oh si, de plus en plus, je ne te savais pas aussi bavarde.— C’est l’amour qui me donne des ailes, parce que je suis amoureuse, moi, Monsieur.— J’espère que ce n’est pas de mon copain.— Qui sait ? C’est un homme charmant. Par contre, dommage pour lui, j’ai horreur des yeux bleus, je préfère les yeux de cochons comme les tiens.

De retour à la maison, Jessica se montre tout d’un coup très bavarde. Elle a envie de me raconter plein de choses, son enfance avec sa grand-mère, le fait qu’elle a très peu connu son père, le grand mystère qui entoure la naissance de sa sœur ; ce secret sa mère l’a emporté dans sa tombe. Et puis plein de petits détails qui l’ont touchée et qui sont, pour la plupart, antérieurs à son accident.

— C’est vrai, Colette a raison, depuis que je suis infirme, j’ai fait tout mon possible pour perdre tous mes amis. Ceux qui ne s’étaient pas détachés de moi à cause de mon handicap, j’ai fait tout ce que je pouvais pour les décourager. Et maintenant je suis seule et je me raccroche à toi comme une sangsue parce que tu es mon seul espoir. Et tu vas en avoir ras le bol et me trouver collante. Tu vois comme je suis nouille.— Non, tu n’es pas nouille, tu es simplement malheureuse, un peu désespérée. Mais prends les choses du bon côté, aujourd’hui tu t’es fait de nouveaux amis. Encore quelques jours comme ça et tu connaîtras presque trop de monde.— Des amis, c’est pas mal, mais moi je cherche surtout l’amour, l’amour avec un grand A, mais aussi l’amour physique. Au fait, quand est-ce que tu me baises ?— Jessica !— Il y a plein de gens qui font l’amour comme ça, juste pour se donner un peu de plaisir. Alors, pourquoi pas nous ? À cause de ton anglaise ? Je ne suis pas jalouse… Moi je me suis touchée, cette nuit, juste en pensant à toi.— Mais tu étais ivre morte.— Oh non, tout ce qu’il y a de plus lucide. J’avais envie que tu me caresses, je rêvais d’avoir tes mains partout sur moi. J’avais envie que tu me baises, que tu me baises très, très fort. Alors qu’est-ce que tu penses de tout ça ?— Je pense que ce n’est pas très raisonnable.— Pourquoi ? Caresse-moi, j’en ai envie de toi.

Elle prend alors ma main, la glisse sous son caraco et la pose délicatement sur sa poitrine. Ses seins sont chauds et veloutés. Mes doigts glissent lentement sur ses courbes délicieuses, s’insinuent dans son soutien-gorge. Elle enlève bientôt son top et retire son balconnet. Elle se retrouve torse nu, épanouie dans le salon. Son visage est radieux et exprime la malice.

Mes mains parcourent ses globes laiteux qui sont d’une beauté à faire pâlir. Mais elle en veut beaucoup plus, elle veut que je les presse. Elle me le fait comprendre en posant ses mains sur les miennes, en appuyant très fort.

Si l’envie d’arrêter là survenait, ce serait trop tard pour reculer, nous sommes déjà beaucoup trop loin, d’autant plus que Jessica pose maintenant ses doigts entre mes cuisses, qu’elle touche mon sexe déjà dressé. La proéminence de mon envie est gage pour elle d’un désir immense. Elle en semble satisfaite, elle joue avec ma colonne qui glisse entre ses doigts.

— Humm, je te fais de l’effet, apparemment… Si tu me montrais cette jolie queue.

Je dégrafe ma braguette et sors ma bite de mon boxer. Elle la saisit d’un geste et semble fascinée par cette longue colonne de chair. Ses doigts parcourent la hampe, elle l’effleure lentement, l’accompagne de tout son long, s’attarde sur le gland joufflu.

— Tu es beau, me dit-elle, je n’ai jamais vu une si belle bite, elle est longue et harmonieuse. Elle me donne l’eau à la bouche. Et pas qu’à la bouche d’ailleurs. Humm, si tu savais comme tu m’excites !

Elle me branle doucement, ses gestes sont amples et précis. Elle me masturbe comme ça un long moment avec tendresse.

— Viens, prends-moi… demande-t-elle enfin, au bout d’un long moment.

Elle dégrafe sa jupe, elle n’a pas de culotte, une épaisse toison fournie recouvre sa vulve. Elle s’allonge sur le divan tandis que je me déshabille.

— J’en ai acheté, tout à l’heure à la pharmacie, me dit-elle en désignant son sac à main.

C’est donc prémédité ! Le temps pour moi d’enfiler un préservatif, je viens sur elle et lui écarte doucement les cuisses. Puis je frotte mon gland longuement sur sa vulve nacrée, déjà luisante de son envie. Sa forêt est luxuriante, excitante en diable. C’est une brune de chez brune, ses poils sont d’un noir brillant d’une pureté absolue.

— Oh Ludo, tu m’excites trop, j’ai trop envie de toi, baise-moi fort, gémit-elle en caressant ses seins. Allez, viens, viens vite, je veux sentir ta queue en moi.

Je m’enfonce en elle, dans sa grotte, elle n’est pas très humide, j’apprendrai par la suite que certaines femmes handicapées ont du mal à lubrifier et c’est un peu son cas. Du coup je me pose quelques questions : « A-t-elle vraiment envie de moi ? » Mais elle m’attire franchement à elle, me fait comprendre que ce n’est vraiment pas grave, qu’elle a envie, qu’elle se sent bien.

— Vas-y, défonce-moi, j’aime ça.

Elle se pétrit les seins, elle me regarde avec des yeux embués d’amour. Elle me donne vraiment envie d’elle, je me penche sur elle pour l’embrasser, pour la caresser, puis je reprends mes va-et-vient et lui arrache quelques gémissements. Est-ce qu’elle triche, est-ce qu’elle ne triche pas, je ne sais jamais trop avec les femmes. J’aimerais tellement lui donner un maximum de plaisir.

Elle me dit alors :

— Arrête, allons sur le lit, dans ma chambre, on sera plus à l’aise.

Je la prends dans mes bras et l’emmène jusqu’à sa chambre, nous nous faisons des bisous pendant tout le trajet.

— Prends-moi sur le côté, par derrière.

J’apprendrai par la suite que c’est sa position favorite, celle où elle jouit le plus. J’ai encore tant de choses à apprendre sur elle, tant de choses à découvrir, tant de moments à ressentir. Je lui fais l’amour sans retenue dans cette position. Je lui touche la poitrine, je lui caresse le clitoris. Soudain, je la sens venir, tous ses muscles qui se crispent, quelque chose qui s’empare d’elle, cette fois-ci, pas de doute, elle vient de jouir, ce qui déclenche dans la foulée ma propre jouissance. Elle me tient la main contre sa poitrine, apparemment elle est heureuse et satisfaite.

— C’était vraiment très bon… j’espère que l’on va recommencer très souvent. Le plus souvent possible. J’aime que tu me fasses l’amour. J’en rêvais depuis si longtemps.— Pour moi aussi Jessi, c’était vraiment très bon. Lorsque tu jouis, tu es d’une beauté à faire pâlir.— C’est l’amour qui me transporte…

Un peu plus tard, elle ajoute :

— J’espère qu’on va se marier, Ludo. J’ai très envie d’être à toi, entièrement à toi, uniquement à toi.— Je ne sais pas trop où j’en suis avec toi, Jessi, tout va vraiment trop vite.— Et bien, on vient seulement de faire l’amour et tu m’as vraiment bien fait jouir, ce n’est pas dramatique.— Je veux dire sentimentalement.— Tu veux dire que tu as peur de trop m’aimer et que tu ne sais pas ce que l’on va devenir.— Je veux dire que je ne sais pas, c’est tellement nouveau pour moi. Tu as pris en quelques heures beaucoup de place dans ma vie, et j’ai besoin de faire le point.— Moi je suis sûre que tu m’aimes, mais que tu ne veux pas encore te l’avouer. Quant à moi, je t’adore, je suis sûre d’avoir envie de faire ma vie avec toi et même, si tu le souhaites, d’avoir des petits bébés avec toi. Tu es l’homme de ma vie Ludo, que tu le veuilles ou non. Mais je préfèrerais quand même que tu sois d’accord. Ce dont tu as peur, ce sont mes coups de folie mais mes coups de folie ne sont jamais du bluff, c’est uniquement ce que je ressens. Et si j’ai cassé la lampe, c’est pas uniquement pour te faire chier. C’est beaucoup plus pour que tu viennes me voir, que l’on soit ensemble, que l’on partage quelque chose. Même si ce que l’on partage ce sont des coups de gueule, mieux vaut ça que de ne rien partager du tout. Mais je suis comme toi, je préfère partager de l’amour, mieux vaut baiser que s’engueuler.— Est-ce que tu pourras survivre si je te laisse seule demain toute la journée ?— Difficilement, pourquoi, où dois-tu aller ? Tu ne peux pas m’emmener avec toi ?— Non, ce n’est pas possible, je dois aller faire de la moto tout-terrain avec des copains. D’un autre côté, j’ai vraiment besoin de faire le point, quelques heures sans toi m’aideront à réfléchir. Toi et moi, c’est vraiment trop de choses en trop peu de temps. Je ne sais plus du tout où j’en suis.— Je suis un peu déçue, je pensais que nous serions ensemble. En plus c’est le week-end… Bon allez, d’accord, tu as bien le droit de faire ce que tu veux… Sinon tu vas te dire que tu n’en veux vraiment pas de cette nana qui cherche à t’attacher… Je suis déçue mais pas conne… Mais en échange tu restes avec moi toute la nuit. On fait dodo ensemble. Allez, fais-moi un bisou.— …— Non, pas comme ça, sur la bouche !— …— Humm, délicieux.— Et lundi, nous partons en vacances, ça te va ?— Pour combien de temps ?— Je ne sais pas, on part à l’aventure, on reviendra quand on en aura marre. Chouette, j’espère que ça va durer longtemps.

Je lui refais ses pansements puis viens me recoucher à côté d’elle. Je la prends dans mes bras et nous nous blottissons l’un contre l’autre.

— Bonne nuit, mon amour.— Bonne nuit, Jessica.

Nous tombons rapidement dans les bras de Morphée et quand nous nous réveillons, nous sommes toujours l’un contre l’autre, enlacés l’un à l’autre :

— Ce que c’est bon, d’avoir un homme auprès de soi !

Elle voudrait bien refaire l’amour mais je dois vraiment m’en aller.

— Alors tant pis pour toi ! menace-t-elle, dépitée.

O-o-O-o-O


Ce petit break d’une journée a l’avantage de me remettre les idées en place. Je m’aperçois surtout à quel point je peux penser à elle, presque tout le temps en fait. Je regrette presque de l’avoir laissée, je la sens encore un peu trop fragile et je ne voudrais pas qu’il lui arrive quelque chose. Quand mes potes me parlent, j’ai vraiment la tête ailleurs, toutes mes pensées sont pour ma dulcinée.

Sur les coups de midi, n’en pouvant plus, je lui téléphone depuis un bistrot où nous nous sommes arrêtés pour boire une bière.

— Tu vas bien Jessica ?— Oui, très bien, et toi ?— Ça va, ça va. C’est un peu difficile car c’est très boueux où nous sommes. Je crois que nous allons rentrer un peu plus tôt que prévu.— Tant mieux.— Qu’est-ce que tu fais, toi ?— Je regarde dans ton ordinateur, comme tu m’as montré hier, mais il y a quelque chose que je ne comprends pas. Mais ce n’est pas très grave, tu me remontreras. Et toi, tu as l’air tout chose…— C’est simplement que je m’ennuie de toi.— C’est une très bonne nouvelle, ça. La petite peste te manque déjà ? À quelle heure penses-tu rentrer, mon cœur ?— Je ne sais pas, vers 19 heures.— Ça te gêne de passer chez toi avant, par exemple pour prendre une douche, et de venir un peu plus tard, disons vers 21 heures ? J’ai envie de te faire une petite surprise.

O-o-O-o-O


Le soir venu, elle a mis sa plus jolie robe et ses plus jolis bijoux, et la surprise en question, c’est un dîner aux chandelles. Elle s’est vraiment cassée pour mettre les petits plats dans les grands.

— Ravissante ! Tu es vraiment splendide.— Je me suis faite belle rien que pour toi.

Le dîner est succulent, un vrai régal, arrosé de la meilleure bouteille qu’elle ait pu trouver dans la maison.

— Alors, cette petite journée t’a été profitable ?— Elle m’a permis de comprendre que tu m’as ensorcelé. Je crois bien qu’avec toi je cours à ma perte, mais j’ai quand même envie d’essayer.— Je t’aime vraiment trop, tu sais.

Je prends alors sa main pour la porter à mes lèvres et l’embrasser. Elle est vraiment radieuse, transformée, c’est la plus belle de toutes les femmes. Plus rien à voir avec la petite emmerdeuse agressive qui nous a cassé les pieds pendant toutes ces années.

Après le repas, nous nous bécotons longuement sur le canapé, des baisers à n’en plus finir, empreints d’un amour tendre. Puis je la prends dans mes bras et la porte doucement jusqu’à son lit.

Et je l’effeuille très lentement. Je la trouve particulièrement belle, elle porte des sous-vêtements affriolants… Je l’embrasse, je la caresse, chaque parcelle de son corps est pour moi une découverte et l’occasion de m’extasier. Ses seins bien fermes et bien galbés constituent le summum de son épanouissement. Je les bécote, je les aspire avant de descendre vers son temple sacré. Je pénètre sa grotte et bois à la source de son sanctuaire.

Trouvant sans doute que je suis un peu trop précautionneux avec elle, elle intervient bientôt :

— Je ne suis pas en sucre. Baise-moi très fort, j’ai très envie de toi. Enfonce ta belle bite en moi, j’en ai rêvé toute la journée, je me suis caressée comme une folle en pensant à toi…

Nous refaisons l’amour avec beaucoup plus de force et d’intensité que la veille. Elle veut que je lui fasse tout. Elle veut tout essayer. Elle me suce avec appétit et ne serait pas opposée à ce que j’essaie sur elle une sodomie. En fait, elle veut bien tout, toutes les positions, tous les fantasmes. Elle m’aime sans restriction et elle est prête à tout me donner.

L’amour est sans complexe et elle exprime son plaisir sans fausse pudeur, un amour physique et bestial qui se traduit par des gémissements et des grognements félins. Je m’aperçois à quel point elle a besoin d’étreintes physiques. Je sens que sur ce plan-là, avec elle, je ne vais pas m’ennuyer. Le sexe a dû lui manquer durant toutes ces années, et elle en est vraiment friande.

Nous nous endormons très tard dans la nuit, nous sommes vidés et repus. Nous nous réveillons bien plus tard enlacés l’un à l’autre, emboîtés l’un dans l’autre.

— Veux-tu m’épouser ? demande-t-elle en se tournant vers moi.— C’est normalement à l’homme de proposer ça à la femme.— Eh bien tant pis, on change les habitudes.— Oui, je veux bien vous épouser Madame.— Mademoiselle, pour le « Madame », j’attends encore d’avoir la bague. Et combien tu veux de petits moufflets ?— Je ne sais pas, deux, trois.— Moi, j’irais jusqu’à quatre. Je crois bien qu’à nos âges, il ne faut plus traîner si l’on veut en avoir quatre, alors mieux vaut s’y mettre tout de suite.

Et nous refaisons l’amour avant de partir. Personne ne nous attend, nous ne sommes pas pressés. Ces vacances, ça va être un peu comme notre voyage de noce.

Nous laissons un message sur le répondeur pour Colette. Jessica tient à rajouter sa touche personnelle : « Je suis très, très, très amoureuse, Coco. Je crois bien que je ne vais plus pouvoir continuer à vivre avec toi, car je viens de trouver l’homme de ma vie et j’ai très envie d’aller habiter avec lui et chez lui ».

— Tu n’aurais pas dû dire ça, elle va avoir une crise cardiaque. C’est un coup à la faire rentrer précipitamment de son voyage pour venir voir ce qui se passe.— De toute façon, elle le sait déjà que tu me plais, cela fait très longtemps que je lui ai dit. Je la soupçonne même de t’avoir mis entre mes pattes pour se débarrasser de moi : « Qu’elle s’en aille donc l’autre foldingue et qu’elle laisse la place pour mon petit Fabien ! »— Je ne te trouve pas très gentille avec elle. Ta sœur t’aime vraiment énormément.— Ah bon, c’est nouveau, ça ! Quand nous étions petites, à chaque fois qu’elle faisait une bêtise, elle s’arrangeait pour que l’on croie que c’était moi. Et puis elle me disait sans cesse que je n’étais pas belle, qu’elle était beaucoup plus jolie que moi. Que mon père ce n’était pas mon père, que mon vrai père avait violé sa mère et qu’il était maintenant en prison, alors qu’il me semble que c’était tout le contraire, c’est plutôt le sien qui avait été violeur dans cette histoire. Ensuite, je me rappelle qu’un jour elle avait excité ses copines pour qu’elles me poussent dans les orties. Il y avait même des ronces, j’avais été toute piquée et toute griffée. En fait, avant mon accident, elle ne pouvait pas me saquer, ma frangine, parce qu’elle était jalouse de moi, ça l’agaçait que mon père soit mon vrai père et que le sien elle ne le connaisse même pas. Même si mon père n’avait pas toutes les qualités, même s’il n’avait pas voulu me reconnaître officiellement, même si c’était un rustre et une poivrasse, au moins moi je le connaissais, il habitait un village voisin et quand il m’arrivait de le rencontrer, à chaque fois il me donnait une petite pièce pour que je m’achète des bonbons.

Colette n’a pas connu tout ça, elle n’a jamais su qui était son géniteur, maman lui a toujours caché, elle ne lui a même pas dit pourquoi elle le lui cachait d’ailleurs, alors toutes les suppositions étaient possibles. Même dans ses derniers jours, elle n’a rien voulu cracher, cette vieille morue. Notre mère, c’était une vraie salope, elle nous élevait à coup de cravache. Moi ça allait encore, je supportais les coups, mais Colette, elle en avait une peur panique, c’est pour cela qu’elle me dénonçait tout le temps, pour que je prenne à sa place, en plus elle me disait que c’était bien fait pour moi…

Non, je te jure, elle ne m’aimait vraiment pas, avec moi elle se comportait comme une vraie garce. Ce qui a changé c’est quand maman a eu son cancer et qu’il a été question que ma sœur s’occupe de moi à sa place. Colette est devenue toute douce, elle s’est faite toute mielleuse pour essayer de m’apprivoiser et asseoir son ascendant sur moi. Mais l’amour de ma sœur, parlons-en, c’était du pipeau, c’était juste pour la galerie. Ce n’est pas de l’amour qu’elle ressent, c’est plus volontiers de la pitié, de la condescendance. Elle fait œuvre de charité à mon égard et moi je n’en veux pas de sa bonté malsaine.

— À quoi ça sert de lui en vouloir comme ça ?— Je ne lui en veux pas, je ne lui en veux plus, je l’ai fait chier pendant tant d’années. Maintenant nous sommes quittes. Je voulais juste remettre les pendules à l’heure parce que depuis des années tu n’entends qu’un son de cloche, il y a la gentille Colette et cette tordue de Jessica qui fait tout son possible pour lui empoisonner la vie. C’est vrai que je l’ai fait chier, et plus que de raison, j’ai joué la capricieuse, je l’ai poussée dans ses derniers retranchements… mais de son côté tout n’est pas rose non plus ! La très gentille Colette ce n’est souvent qu’une façade.— Tu es dure avec elle.— Non, réaliste. D’un autre côté, c’est vrai qu’avec elle je n’ai jamais manqué de rien. Elle m’a tout donné, a pardonné toutes mes incartades. J’aurais été à sa place, je ne me serais pas supportée plus d’une semaine, c’est sûr qu’elle a le don du sacrifice, Colette. Mais ça n’en fait pas une sainte.— Cela veut dire quoi, tout ça ? Que quand on sera ensemble tu ne voudras plus la voir ?— Si, bien sûr que si. Je lui dois une certaine reconnaissance pour tout ce qu’elle a fait pour moi, je lui suis redevable. Et puis, après tout c’est ma sœur, c’est la seule famille qui me reste. La seule chose que je dis, c’est que de l’amour, il n’y en a pas entre nous et que, dans son for intérieur, elle va être vraiment contente que je m’en aille de chez elle…— … et que tu sois heureuse…— Ça je ne sais pas, elle est capable d’être jalouse de mon bonheur…

O-o-O-o-O


Quelques années ont passé depuis cette aventure. Colette et Fabien n’ont pas été bien longtemps ensemble, ils ont rompus quelques temps après notre mariage à Jessi et à moi. Jessica était une très jolie mariée qui avait un très gros ventre car elle était sur le point d’accoucher de notre premier enfant. Ensuite, il y a eu Paul, puis Charlotte, puis Émilie et maintenant mon épouse attend un quatrième enfant qui sera paraît-il un garçon. Ma femme est vraiment très courageuse car à chaque fois ses grossesses sont difficiles. Mais elle voulait me donner quatre enfants et elle va me donner quatre enfants.

Depuis que nous sommes ensemble, je n’ai jamais vu Jessica malheureuse, pas une seule seconde. Elle fréquente tous mes amis, elle est belle, épanouie, toujours souriante et toujours pleine d’entrain, surtout pour aller au lit, la femme idéale en quelque sorte. Et puis, je ne l’entends jamais une seule seconde chouinouiller sur son handicap. C’est comme ça, elle en a pris son parti, elle ne va pas revenir dessus.

Colette vient nous voir de temps en temps à la maison. Les relations entre sœurs sont toujours un peu tendues même si je dois reconnaître qu’elles font toutes les deux de gros efforts pour essayer de s’apprécier.

Petits neveux et nièces font tout pour séduire leur tante qui est restée une de mes meilleures amies, même si maintenant j’ai une femme-confidente avec qui je partage tous mes petits secrets.


Auteur :Ludovic.

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